Pour le meilleur et pour le pire. Si le big data est porteur d’espoir, il peut se transformer en big brother, prévient Olivier Vansteelandt, CIO, AXA Luxembourg. C’était le 1er décembre, lors de la 9ème édition du Gala IT ONE, à l’Alvisse Parc Hôtel. Thème de l’après-midi : «Le côté obscur de la force du big data».

«L’exploitation à grande échelle de ces données permet la production d’une information personnalisée, fondée sur une anticipation du possible et destinée à ‘faciliter’ nos décisions, ce qui ne va pas sans ambiguïté. Les organisations avec lesquelles nous sommes en contact numérique s’intéressent à nos choix, cherchent à les anticiper, à les orienter. Nous n’avons guère de contrôle, et même guère de moyen de comprendre les critères selon lesquelles les algorithmes travaillent à nous comprendre et à nous influencer.»

Jusqu’au 20 août dernier, quand on tapait dans Google des mots-clefs tels que «grippe», «symptômes», «thermomètre», «douleurs musculaires» et «toux», le moteur ne faisait pas que remonter des pages web en réponse à la requête de l’internaute. Ces termes, tapés par des millions d’internautes dans le monde, étaient analysés par un algorithme, pays par pays, pour fournir une prévision localisée et actualisée des pics de grippe avant même les autorités sanitaires. C’est terminé. Lancé en 2008, le service Google Flu Trends a été interrompu pour une simple et bonne raison : il n’était pas fiable, Google Flu Trends produisant des prévisions américaines 50% supérieures à celles des Centers For Disease Control and Prevention. Selon la revue professionnelle Science, Google s’est abusé lui-même par un usage naïf des big data…

«L’information ou la donnée en tant que telle n’ont pas de valeur propre, comme tout actif immatériel elle ne l’acquiert que lorsqu’on l’utilise dans le cadre d’un processus ou d’une activité métier, indique Olivier Vansteelandt. Ce qui déplace la question sur un terrain qui est tout sauf technique : pour quoi s’en servir, comment s’en sert on, quelles limites se donne-t-on ? Et là, les exemples et contre-exemples ne manquent pas...»

Ainsi, l’expérience de l’enseigne de distribution américaine Target pousse à réfléchir. Un père de famille, très énervé, est ainsi allé trouver le directeur d’un supermarché de la chaîne, muni de plusieurs bons de réduction pour des produits destinés aux futures mamans -berceaux, vêtements pour bébé- nominativement adressés à sa fille, âgée de 17 ans. Quelques jours plus tard, un peu gêné, le père revient s’excuser. Sa fille lui a avoué «avoir exercé, à son domicile, des activités dont il n’avait pas été pleinement informé»… Se basant sur une liste de vingt-cinq produits que les femmes enceintes sont le plus susceptibles d’acheter, jusqu’à pouvoir développer un «score de prévisibilité de grossesse», Target savait, à quelques jours près, à quel stade de sa grossesse la jeune fille se trouvait. Et cela avant même que son père ne s’en rende compte. Et comme Target avait repéré que la demoiselle faisait ses courses le week-end au magasin plutôt qu’en ligne, les bons lui avaient été envoyés par la poste. La seule chose que le magasin n’avait pas prévu c’est que ce ne serait pas elle qui allait relever le courrier !

«Qu’on le veuille ou non, nos vies digitales ne sont ni anonymes ni invisibles : tout est tracé, constate Olivier Vansteelandt. Technologiquement rien n’empêche alors un ‘big brother’ total si ce n’est le coût -qui baissera inévitablement- et les lois répondant plus ou moins indirectement aux attentes des citoyens.»

Tous les secteurs sont concernés. Olivier Vansteelandt cite celui qu’il connaît le mieux : l’assurance. Avec l’avènement du big data, la perspective d’individualiser parfaitement le risque de l’assuré n’est plus chimérique. On peut donc imaginer que les contrats d’assurance IARD traditionnels, reposant sur le principe indemnitaire, disparaissent. En effet, dans un monde où le risque de chacun serait parfaitement identifiable, l’assureur proposerait à chaque client un produit financier permettant de lisser ses ressources mensuelles en fonction des sinistres que lui seul subirait sur son horizon de vie. Fini le principe de mutualisation sur lequel les grands compagnies sont nées !

«N’est-ce pas accorder trop d’importance aux algorithmes des big data… qui n’ont pas été conçus pour faire des démonstrations qui produisent des résultats incontestables, prouvés par a + b», tient tout de même à nuancer Olivier Vansteelandt. Ne nous leurrons pas : les algorithmes du big data travaillent à partir de données partielles, incomplètes, peu structurées, des données qui ne permettent pas ce type de raisonnement. Leur fonction est plutôt de repérer des répétitions, d’identifier des schémas, des modèles de comportement. Ils perçoivent des données, les agrègent en informations, interprètent ces informations, font des liens avec d’autres connaissances déjà mémorisées et proposent ainsi des choix réduits, orientés vers une finalité pratique.

L’exploitation à grande échelle de ces données permet la production d’une information personnalisée, fondée sur une anticipation du possible et destinée à «faciliter» nos décisions, ce qui ne va pas sans ambiguïté. Les organisations avec lesquelles nous sommes en contact numérique s’intéressent à nos choix, cherchent à les anticiper, à les orienter. Nous n’avons guère de contrôle, et même guère de moyen de comprendre les critères selon lesquelles les algorithmes travaillent à nous comprendre et à nous influencer.

«Le big data n’est pas sans danger, conclut Olivier Vansteelandt. Il pose évidemment des questions d’éthique et de sécurité. Mais pas seulement. Il pose aussi la question du ‘comment faire autrement’. Et si, dans l’assurance, il est aujourd’hui une aubaine pour mieux évaluer les risques de chaque individu, à plus long terme c’est la profession même qui devra se remettre en question. De là, d’ailleurs, l’énorme travail de réflexion d’AXA sur son avenir numérique.»

L’assurance sociale sera sans doute la première impliquée. De fait, le principe même du big data remet en question l’ensemble des mécanismes de solidarité. A l’issue d’une analyse froide, on peut se hasarder à suggérer que la raison essentielle de notre adhésion à ces mécanismes est que nous étions jusque là incapables d’identifier de manière précise la contribution de chacun à leur financement et aux dépenses engagées. Est-ce un mieux ? La question reste ouverte.

 

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GALA IT ONE 2015 - Big data, big brother ?
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