Patrick Laurent, Consulting Partner, Deloitte Luxembourg: «Gagner la crédibilité requise pour participer activement aux discussions de leadership stratégique sera probablement un processus graduel pour de nombreux CIO», dites-vous. Le constat n’est-il pas négatif, à tout le moins pessimiste? Une situation qui suppose un réel retard. Sera-t-il possible de le combler?

«Je considère plutôt cela comme un challenge intéressant pour les CIO. L’importance de la révolution numérique pour l’avenir de nos entreprises est aujourd’hui reconnue par tous. Les CIO n’ont jamais eu autant de capacité d’influence au niveau de la stratégie d’entreprise, à eux de porter ce débat au niveau de leurs directions générales et de jouer un rôle proactif dans ces discussions.»

° La comparaison des résultats mondiaux et locaux de l’enquête montre que la promotion de la stratégie numérique constitue une priorité nettement moins importante au Luxembourg qu’à l’échelle internationale. La situation ne tient-elle pas du paradoxe quand on voit l’importance des investissements en technologies consentis par les entreprises au Luxembourg? L’importance du secteur financier -conservateur- explique-t-elle cette différence? Faut-il y voir un écart «culturel»?

«Il est vrai que notre secteur technologique est extrêmement développé… De très nombreux investissements en infrastructure -notamment au niveau de nos data centers- ont également été consentis. La promotion de nos compétences en matière de technologies porte ses fruits, même s’il est certainement encore possible de faire plus et mieux… Notre secteur technologique reste cependant encore très lié à l’industrie financière, traditionnellement plus conservatrice et relativement moins innovatrice. Nous voyons néanmoins de plus en plus d’activités purement numériques s’établir à Luxembourg. La conjonction d’un secteur technologique historiquement très développé et de l’apparition de ces nouveaux acteurs du numérique pourrait constituer un déclencheur permettant de repositionner l’ensemble du secteur. Il faudra par contre privilégier certaines prises de risques chez nos jeunes diplômés. Nous avons besoin d’ingénieurs, mais également d’entrepreneurs…»

° Conformément aux résultats globaux, les CIO luxembourgeois privilégient la prestation de services informatiques à la croissance, nous apprend l’étude. En somme, la qualité… mais sans voir plus loin. In fine, n’est-ce pas ce qu’on attend d’un service ICT- la qualité de service plutôt que la stratégie? 

«On ne peut que difficilement établir des plans stratégiques pour l’avenir tant que les services de base ne sont pas assurés. La ‘machine ICT’ doit, en premier lieu, supporter correctement ses utilisateurs en livrant des services de qualités structurés autour de technologies fiables et de processus éprouvés. Une fois ces fondamentaux assurés -et c’est généralement le cas à Luxembourg-, les priorités des CIO doivent alors se concentrer sur les objectifs à long terme et sur l’alignement de la stratégie IT sur les priorités métiers. C’est généralement là que le bât blesse dans de nombreuses entreprises. Le métier de CIO est en effet très complexe… C’est ce qui en fait -également- son intérêt. 

° Comment modifier cet état d’esprit? L’enquête suggère que cet état d’esprit pourrait, justement, entraver les efforts déployés par les CIO en vue de faire de leurs organisations des centres de profits et non plus de coûts…

«Changer cet état d’esprit n’est pas simple… car souvent ancré dans l’ADN du CIO. En fonction de son expérience, de ses intérêts et de son agilité, le CIO va forcément développer son propre style, parfois très focalisé sur les thématiques métiers, parfois nettement plus sur les dimensions technologiques. Le CIO est souvent un très bon manager et parfois un véritable leader dans son entreprise. De manière générale, les nouveaux CIO ne doivent pas hésiter à se faire conseiller, trouver de bons coaches en interne ou en externe et rester ouverts à toutes les nouveautés. 

° Le fait que deux CIO sur trois se décrivent comme plus rationnels qu’intuitifs explique probablement le moindre degré d’innovation dont ils font preuve par rapport à l’échantillon global, nous apprend l’étude. La suggestion est lourde de sens. N’est-il pas nécessaire de reconsidérer fondamentalement la fonction de CIO? Comment agir?

«C’est une question importante… Quels sont les bons parcours éducatifs et professionnels pour ‘faire’ un bon CIO? Il est difficile d’y répondre. Le rôle du CIO étant extrêmement large, j’imagine qu’un profil ayant été exposé à des problématiques variées -qu’elles soient techniques, métiers, mais également liées à la gestion- doit forcément être plus aguerri. Un ‘CIO-as-a-Venture Capitalist’, en quelque sorte. Aujourd’hui, une certaine ouverture à l’innovation et à la prise de risque est également la bienvenue.»

 

Messieurs les CIO, accordez plus d’importance à la stratégie numérique!

«Gagner la crédibilité requise pour participer activement aux discussions de leadership stratégique sera probablement un processus graduel pour de nombreux CIO…» Tout est dit. Par ce commentaire, Patrick Laurent, Consulting Partner, Deloitte Luxembourg, résume fort justement la deuxième enquête de Deloitte auprès des CIO pour analyser l’évolution de leur fonction. 900 CIO de 49 pays ont participé cette année, dont 40 basés au Luxembourg.

La comparaison des résultats mondiaux et locaux de l’enquête montre que la promotion de la stratégie numérique constitue une priorité nettement moins importante au Luxembourg qu’à l’échelle internationale. Les CIO luxembourgeois ne placent en effet la stratégie numérique qu’en septième position parmi leurs priorités, alors qu’elle se classe dans le top 3 d’un point de vue global.

Les CIO luxembourgeois se distinguent de l’échantillon dans son ensemble de par l’importance qu’ils accordent à la prestation de services et l’expérience client par le biais de la technologie. Conformément aux résultats globaux, ils privilégient la prestation de services informatiques à la croissance. L’enquête suggère que cet état d’esprit pourrait entraver les efforts déployés par les CIO en vue de faire de leurs organisations des centres de profits et non plus de coûts.

L’enquête indique que l’évolution des budgets informatiques au Luxembourg est en ligne avec la tendance globale. Cette année, 79% des CIO luxembourgeois ont fait état d’une hausse ou d’un maintien au même niveau de leurs budgets, contre 71% un an plus tôt. Cependant, contrairement aux résultats globaux, une hausse de la part des budgets informatiques allouée aux activités informatiques de routine a été observée au Luxembourg (56%, contre 53% l’année dernière), ce qui réduit la part des investissements en faveur de la croissance et de l’innovation.

Près de la moitié des CIO luxembourgeois (47%) considèrent l’innovation comme un facteur important pour leur organisation, mais ne reçoivent pas suffisamment de soutien financier pour concrétiser leurs idées, comme en témoigne le fait qu’environ 40% d’entre eux dépensent moins de 10% de leur budget en faveur de l’innovation.

En termes de comportement, les CIO luxembourgeois sont globalement conscients de l’importance de s’affirmer en tant que chefs d’entreprise et partenaires stratégiques, et un quart d’entre eux disent être amenés à gérer des situations. Le fait que deux tiers d’entre eux se décrivent comme plus rationnels qu’intuitifs explique probablement le moindre degré d’innovation dont ils font preuve par rapport à l’échantillon global.

Les conclusions de l’enquête révèlent que le principal obstacle aux investissements informatiques risqués en faveur de l’innovation et de la croissance au Luxembourg serait l’insuffisance du budget informatique qui y est alloué, et non une aversion pour le risque de la part de la direction.

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A quand le «CIO-as-a-Venture Capitalist»?
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Patrick Laurent, Deloitte luxembourg: «Les CIO n’ont jamais eu autant de capacité d’influence au niveau de la stratégie d’entreprise !»
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