La maîtrise de lâinformation constitue un enjeu stratégique majeur pour lâUnion européenne, tant en termes économiques quâen termes de valeurs. LâEurope reprend enfin la main et montre la voie. Lâinvalidation de « Safe Harbor », lâaccord décisif obtenu fin 2015 par la Présidence luxembourgeoise sur le futur règlement général de la protection des données ainsi que lâaccord sur les fondations dâun « Safe Harbor 2 », le « EU-US privacy shield », annoncé ce 2 février 2016 pourraient constituer un véritable « Game Changer ».
2016 : Une étape charnière
Ce 28 janvier 2016 sâest tenue la 10ème journée de la protection des données, instaurée par le Conseil de lâEurope afin de sensibiliser les citoyens européens sur lâimportance de la protection des données personnelles.. Il y aura probablement un avant et un après ce 28 janvier 2016. Plusieurs décisions clefs sont attendues dans les prochaines semaines. Les initiatives européennes en matière de data protection amorcent une véritable révolution qui aura un impact majeur sur le traitement des données à caractère personnel, non seulement sur un plan européen mais également au niveau mondial. LâEurope montre lâexemple et est à la pointe.
Invalidation de Safe Harbor : un « tsunami juridique »
Le transfert des données à caractère personnel vers un pays tiers à lâUnion européenne est, en principe, interdit, sauf si le pays de destination assure un niveau de protection adéquat de ces données personnelles. Suite à différentes actions en justice menées par Max Schrems, un citoyen autrichien, contre Facebook, la Cour de Justice de lâUnion européenne a invalidé le 6 octobre 2015, le cadre de transfert des données personnelles de lâUnion Européenne vers les Etats-Unis : « Safe Harbor » (sphère sécurité).
Ce cadre avait été jugé adéquat il y a quinze années par lâUnion Européenne. Entre-temps, beaucoup dâeau a coulé sous les ponts : digitalisation exponentielle avec le développement des réseaux sociaux, des services cloud, de la sophistication des algorithmes de recherche, sans compter les programmes de surveillance de masse américains et britanniques révélés par Edward Snowden en 2013.
Le 6 octobre 2015, « Safe Harbor » a été considéré comme « portant atteinte au contenu essentiel du droit fondamental au respect de la vie privée ».
Depuis lors, lâaccord « Safe Harbor » ne constitue donc plus une présomption irréfragable de légalité. Cette invalidation du cadre « Safe Harbor » constitue un véritable « tsunami juridique » et représente une décision clef pour la Protection des données.
Plus de 4.500 entreprises, dont Facebook, Google, Amazon, Microsoft, ⦠qui stockent les données des utilisateurs européens dans des serveurs situés aux Etats-Unis seraient depuis lors dans lâillégalité. Ces entreprises ont dû revoir leurs conditions de transfert des données à caractère personnel de citoyens de lâUnion européenne vers les Etats-Unis. Pour se mettre en règle, elles peuvent faire appel à dâautres types dâexceptions prévues, tel que les « clauses contractuelles type » ou les « Binding Corporate Rules » (codes de conduite internes) pour les transferts au sein dâun même groupe, revoir leur organisation, le rapatriement des données vers des Data Centres en Europe, etc â¦
31 janvier 2016 : Echéance de lâultimatum du G29
Face à ce tsunami juridique qui a créé un véritable vide juridique, les autorités nationales de protection des données ont hérité dâune responsabilité accrue. Après lâinvalidation du cadre « Safe Harbor », le G29, le groupe des autorités de protection des données de lâUnion Européenne, a donné trois mois aux autorités européennes et américaines pour négocier un nouveau cadre « Safe Harbor », dans le respect des droits fondamentaux. La data butoir était donc ce 31 janvier 2016.
Le G29, qui se réunit les 2 et 3 février 2016 devrait, en outre, examiner les répercussions de lâarrêt de la Cour de Justice sur les autres exceptions prévues, tel les « clauses contractuelles type » et les « Binding Corporate Rules ». En effet, ces instruments ne semblent pas de nature à faire obstacle à la surveillance massive des autorités américaines.
Les autorités nationales vont-elles franchir ce pas supplémentaire ?
Par ailleurs, lâétat de grâce de trois mois étant écoulé, les autorités nationales de protection devaient statuer sur le fait de poursuivre les entreprises qui ne se sont pas encore mis en ordre.
Safe Harbor 2 : les intenses négociations de ces 3 derniers mois
Pour répondre à lâultimatum lancé par le G29, la Commission Européenne et les autorités américaines ont accéléré leurs négociations depuis trois mois sur le nouveau cadre « Safe Harbor 2 ». Jusquâà ce 1er février 2016, il semblait difficile quâun « Safe Harbor 2 » solide dâun point de vue juridique voie le jour. Plusieurs points de blocage majeurs étaient identifiés. Tout dâabord, lâUnion européenne exige que les Etats-Unis autorisent le recours en Justice devant les tribunaux américains pour tout citoyen européen dont les données personnelles seraient exploitées de manière abusive. Si un projet de loi spéciale « Judicial Redress Act » a bien été voté à la Chambre des Représentants US, le vote au Sénat prévu pour le 20 janvier 2016 avait été annulé sans raisons. Cette annulation bloquait du même coup le vote de lâ« Umbrella Agreement » (« accord parapluie ») que doit voter lâUnion européenne et qui porte sur la limitation des droits des autorités américaines sur les données des citoyens européens et ce, dans le cadre des échanges en matière de police et de justice. Vu les enjeux, le lobbying des grandes entreprises américaines a repris de plus belle ces derniers mois, semaines et jours, afin de mettre sous pression lâUnion européenne, afin quâelle renonce à certaines de ces exigences.
A moins que les autorités européennes ne renoncent, et sachant que les points de blocage portent sur des points relatifs à la sécurité sur lesquels les autorités américaines sont intransigeantes, il était donc peu probable que cet accord soit finalisé à court-terme.
2 février 2016 : EU-US Privacy Shield : les fondations dâun Safe Harbor 2 annoncées
Face à lâultimatum du G29, la bonne nouvelle est tombée ce mardi 2 février 2016. Avec quelques heures de retard sur la date butoir du 31 janvier 2016, la Commission Européenne a annoncé un accord sur les fondations dâun « Safe Harbor 2 ».
Cet accord est avant tout un accord politique et une déclaration dâintention.
Le nouveau cadre « EU-US Privacy Shield » reposerait sur les trois principes suivants annoncés (cf communiqué de presse de lâUE du 2 février 2016) :
- « Les compagnies américaines souhaitant importer des données personnelles d'Europe devront respecter de solides obligations sur la façon dont les données personnelles seront traitées et les droits individuels garantis » ;
- « Pour la première fois, les Ãtats-Unis ont fourni à l'Europe des assurances écrites que l'accès des pouvoirs publics (…) sera soumis à des limitations claires et à des mécanismes de contrôle » ;
- « Tout citoyen considérant que leurs données a été mal utilisée aura à sa disposition de nombreuses possibilités pour rétablir la situation ». â¦
 Des voies de recours seraient donc prévues du côté européen comme du côté américain, ainsi quâun système dâarbitrage, à déclencher en dernier recours. Par ailleurs, pour des plaintes sur des potentiels accès par des organismes « dâintelligence nationale », type NSA, un médiateur serait créé.
Un bon point de lâaccord annoncé, est quâil prévoit une révision annuelle conjointe du cadre, afin observer de près lâefficacité du « bouclier ».
Le point particulièrement faible est clairement quâil ne serait a priori pas prévu dâexclure les données des Européens des données auxquelles les services de renseignement peuvent accéder, ou de limiter leur traitement. Les Européens devront simplement pouvoir contester une utilisation illégale de leurs données, sâils arrivent à la démontrer.
EU-US Privacy Shield : le diable sera dans les détails à définir et à mettre en Åuvre
Lâannonce du « EU-US Privacy Shield » est un pas significatif dans la bonne direction. Il devrait évidemment être de meilleure qualité que « Safe Harbor 1 » qui constituait un cadre de façade, type « village de Potemkine ».
Lâaccord, tel que rapporté dans le communiqué de presse de lâUE, porte sur des fondations, des principes et des intentions. Sachant que dans ce domaine, le diable est dans les détails, la qualité de lâaccord ne pourra être évaluée que sur des textes contraignants juridiques qui devraient être publiés le plus vite possible pour analyse. De même, il est indispensable de pouvoir vérifier quels sont les moyens qui seront mis en Åuvre sur ces obligations.
« Chat échaudé craint lâeau froide » : dans lâexercice de mise en Åuvre des grands principes de Safe Harbor 2 qui sâannonce, les autorités européennes devraient sâentourent des meilleurs spécialistes juridiques et techniques nécessaires pour garantir les mesures suffisantes de protection du bien le plus cher, dans tous les sens du termes, de lâUnion Européenne et du Marché Unique : les informations personnelles de ses citoyens. LâEurope a fait preuve dâune naïveté affligeante pendant des années : il sâagit de persévérer et de ne pas se laisser impressionner dans la révolution copernicienne démarrée. A défaut, de nouveaux recours en annulation seront lancés et dans quelques années, le processus redémarrera de zéro.
Trois types dâincertitudes
Le développement des relations économiques et sociales requiert un cadre juridique clair. Le monde économique a horreur de lâincertitude juridique.
En matière de protection des données, il fait aujourdâhui face à trois incertitudes.
- Lâincertitude « Safe Harbor 2 », qui régule les transferts de données entre lâUE et les US et évoquée ci-avant. La bonne nouvelle est quâun accord de principe a été conclu ce 2 février 2016. Il reste lâétape critique de mise en Åuvre, car « le diable est dans les détails » ;
- La seconde incertitude concerne la décision ou lâavis du G29, groupe des autorités de protection des données, qui doit analyser lâadéquation des « clauses contractuelles type » et des « Binding Corporate Rules » et devra probablement donner, dans un temps très court, un avis sur le nouveau cadre « Safe Harbor 2 » proposé ;
- La troisième incertitude concerne le futur règlement relatif à la protection des données. La très bonne nouvelle est que cette incertitude sera levée au 1er semestre 2016, le projet de règlement est publié et est jugé satisfaisant : il devrait permettre la mise en place dâun cadre incontestable et équilibré entre les contraintes économiques, sociales, éthiques et judiciaires. Le projet de règlement constitue un très beau succès collectif européen !
4 années de débat : le Règlement général sur la protection des données.
Les négociations autour de lâétablissement du nouveau règlement relatif à la protection des données auront duré quatre années. Il sâagit de quatre années de débats acharnés, soumis à un lobbying intense. Vu les enjeux économiques considérables (pression des géants de lâinternet, â¦) ainsi que les enjeux sociaux et politiques (vie privée, lutte contre le terrorisme, â¦), le processus aura connu des hauts et des bas. Le projet initial, soumis à ce lobbying massif de la part des acteurs de lâinternet, était particulièrement inquiétant et fragile par rapport à la Charte des droits fondamentaux de lâUnion européenne. Les révélations dâEdward Snowden ont néanmoins permis une prise de conscience rapide des parlementaires européens. De nouvelles révélations concernant les activités dâespionnage ont encore accéléré cette prise de conscience du monde politique : à la veille des réunions du sommet européen du 24 et 25 octobre 2013, « Der Spiegel » révélait la surveillance du téléphone portable dâAngela Merkel. Ces révélations auront incontestablement joué un rôle majeur dans le rééquilibrage du règlement européen en termes de meilleure protection des données personnelles.
Fin 2015 : la Présidence Luxembourgeoise obtient un accord informel
Le 15 décembre 2015, la Présidence luxembourgeoise du Conseil a annoncé lâobtention dâun accord informel du Conseil, du Parlement et de la Commission sur un nouveau règlement relatif à la protection des données ainsi que dâune directive qui sâapplique aux données personnelles traitées à des fins répressives. Le règlement et la directive constitue le « Paquet Protection des données ».
Le projet de règlement devrait être voté dâici fin avril 2016 et entrer en vigueur en juin ou juillet 2016. Il est, par ailleurs, à espérer que les recours qui peuvent être soumis pendant une période de 60 jours après le vote, soient dâexcellentes qualité, afin dâaméliorer la robustesse du texte et quâil soit purgé de ses vices éventuels le plus vite possible. Dans lâintérêt de tous, du monde économique et social, il est vital de disposer dâun référentiel très clair et robuste, en termes juridiques. Le règlement sera dâapplication dans deux années, câest-à -dire au printemps 2018.
Une révolution copernicienne pour une confiance accrue
Dans ce contexte, le futur règlement constitue une véritable révolution copernicienne. Le texte sur lequel les autorités européennes sont tombées dâaccord vient donner de nouvelles garanties au citoyen. La première grande nouvelle, câest que lâon disposera dâun règlement, autrement dit quâil sâappliquera directement de la même manière sur lâensemble de lâespace de lâUnion européenne, offrant une réelle dimension au marché unique. Il nâa pas besoin dâêtre traduit dans le droit national des Etats membres.
Ce règlement instaure plusieurs grands principes importants :
- la nécessité dâobtenir un consentement explicite (et non plus implicite) du citoyen pour tout usage déterminé de ses données ; il faudra donc au préalable demander la permission au citoyen ;
- un accès plus facile de la personne concernée aux données à caractère personnel la concernant ;
- le droit à la rectification, à lâeffacement des données et à lâoubli ;
- la collecte des données ne sera autorisée que pour servir des « intérêts légitimes » de lâentreprise, dans le cadre de son activité principale ;
- des exigences à lâégard de la gestion de la donnée par lâentreprise fondée sur les risques ;
- une définition claire de ce qui relève de lâinformation sensible ;
- la nécessité de désigner un délégué à la protection des données ;
- un important pouvoir de sanction des Commissions Nationales de la Vie Privée,
- lâinstauration de pénalités substantielles en cas dâinfraction grave (4% du chiffre dâaffaires global du groupe auquel appartient la société en défaut) ;
- la mise en place dâun guichet unique pour le territoire européen pour les questions et réclamations à lâégard des données personnelles ;
- lâintroduction du concept de « privacy by design » pour les processus de traitement de la donnée.
Avec ce règlement, vis-à -vis de lâusage qui est fait de ses données, le citoyen bénéficie dâune plus grande transparence, dâun meilleur contrôle, de nouveaux droits, comme par exemple le « droit à lâoubli ».
Lâensemble de ces droits accordés au citoyen et de ces exigences instaurées vis-à -vis des entreprises a pour objectif de créer la confiance envers lâéconomie numérique et ses acteurs. Cette confiance est essentielle pour le développement dâun marché unique dont le digital est lâun des principaux moteurs.
Un véritable « Game Changer »
Le 8 décembre 2015, Giovanni Buttarelli, « European Data Protection Supervisor », a déclaré lors de la conférence « EU Data Protection 2015 Regulation meets Innovation », à San Francisco, au cÅur de la Bay Area et Silicon Valley, que le nouveau règlement va profondément modifier les règles du jeu pour tous les acteurs de lâInternet :
- Il nây aura plus quâun numéro de téléphone pour appeler le régulateur européen ;
- La sécurité des données ne sera plus une option. Lâapplication de la protection des données « by design », dès la conception, sera une obligation ;
- Il y aura une claire protection du « Big Data ».
Il a par ailleurs indiqué que la protection des données ne pourra plus être considérée comme du « window dressing » et que les principes dâhonnêteté, de transparence et de respect des individus devront être intégrés dans les processus de décision.
En faisant référence aux aspects environnementaux, il a appelé à agir en matière de Protection des données, dans le respect des futures générations. Par ailleurs, le 28 janvier 2016, à lâoccasion de la journée de la Protection des Données, il a annoncé, la mise en place dâun framework sur le « Big Data » et la gestion des algorithmes.
Le Luxembourg, centre de compétences idéal pour la gestion de la donnée sensible
La Présidence luxembourgeoise du Conseil de lâUnion européenne sâest ponctuée sur lâannonce dâun accord informel sur ce règlement clef qui va réguler le monde digital en Europe et au-delà . Il va définir de nouvelles règles qui vont probablement à terme constituer une référence universelle. Il sâagit dâune excellente nouvelle pour le Luxembourg qui est en bonne position pour accompagner ce changement. La gestion de lâinformation sensible est inscrite dans les gênes du pays. Depuis toujours, au sein dâEBRC, nous sommes persuadés que la gestion responsable de lâinformation et de la donnée sensible constitue un choix durable dans cet univers digital. Les acteurs qui, dans ce secteur, sâinscriront en premier lieu dans cette voie disposeront dâun réel leadership.
Alors que se développe une économie gigantesque autour des concepts dâobjets connectés et de Big Data, les citoyens souhaitent plus de garanties. Plus nous allons avancer dans le développement de lâéconomie digitale, plus lâincertitude à lâégard de lâexploitation des données sera grande, plus il faudra veiller au maintien de la confiance. A notre niveau, cela passe par le développement dâinfrastructures, de services managés IT et de savoir-faire permettant une sécurité et une disponibilité de lâinformation extrêmement élevée. Mais, cela consiste également à contribuer à lâétablissement des normes internationales en matière de gestion de lâinformation sensible, dont la certification ISO 27018 (sécurité des informations personnelles dans le cloud), publiée le 1er août 2014 et en cours dâimplémentation. Protéger et gérer lâinformation sensible de nos clients et de nos partenaires, câest là notre core business.
Yves Reding â CEO EBRC (European Business Reliance Centre)